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AIKE VISBEEK : « EN 2020, IL FAUT UTILISER LA SITUATION DE MANIÈRE INTELLIGENTE »

Cette année 2020 a profondément touché le cyclisme dans son intégralité. Les acteurs du monde du cyclisme se sont rendu compte de la fragilité du modèle de fonctionnement basé sur le partenariat et sa visibilité. Ici, pas de droits télé, pas de billetteries et très peu de merchandising. Imaginez qu’en football, le Real Madrid, Manchester United ou l’Olympique Lyonnais soient à deux doigts de mettre la clé sous la porte à l’issue de la saison … C’est bien ce qui risque d’arriver à des équipes majeures comme CCC ou Astana. Il est évident que le modèle cycliste ne peut changer du jour au lendemain. Nous nous sommes donc intéressés à l’urgence et à l’avenir. Dès les premières courses annulées, les coureurs de moins de 23 ans, ceux qui aspirent à évoluer au plus haut échelon mondial dès l’an prochain se sont montrés particulièrement inquiets. Le constat de base est simple : sans course, il est impossible de montrer ce que l’on vaut. Et les places sont chères au plus haut niveau.
En quelques années, SEG Racing Academy est devenue une référence dans le monde du cyclisme espoirs. Créée en 2015 par l’agence de coureurs SEG Cycling, l’académie veut transmettre aux jeunes coureurs tous les outils nécessaires pour réussir en tant que cycliste professionnel au plus haut niveau mondial. Sur le Tour de Bretagne, SEG Racing, ce n’est pas moins de 7 victoires d’étape en 7 participations grâce à Alex Peters, Nick Schultz, Cees Bol, Julius Van Den Berg et Alberto Dainese. Un britannique, un australien, deux néerlandais et un italien : l’équipe est définitivement cosmopolite et internationale. Tous ont signé dans de grandes formations l’année suivant leur succès sur le Tour de Bretagne mais c’est aussi le cas d’autres coureurs de l’académie comme Fabio Jakobsen, Edoardo Affini ou Kaden Groves.

C’est ainsi que le manager de la formation, Aike Visbeek, nous explique comment s’est organisé l’encadrement des coureurs suite à l’annonce de l’arrêt de la saison, début mars, dans le monde entier. « La majorité de nos coureurs sont néerlandais. Ils ont ainsi pu rouler à l’extérieur durant le premier mois en restant toutefois seuls durant l’entraînement. Durant les 2 premières semaines, nous sommes également passés à une course virtuelle par semaine. Les eRacing ou courses virtuelles permettent aux coureurs de faire des efforts à haute intensité et surtout de rester actifs. Cette période a aussi permis de développer l’activité de nos coureurs dans le domaine virtuel. Chaque semaine nous avons organisé des webinaires sur différents sujets spécifiques tels que le renforcement musculaire, la gestion d’un classement général, la manière dont réussir son passage chez les professionnels ou la gestion des médias. Nous avons fait intervenir d’anciens coureurs de la SEG Racing comme Nick Schultz, Fabio Jakobsen ou encore Rory Sutherland. De manière générale, les coureurs ont bien traversé cette période car les choses ont été bien organisées. »
Les anciens justement, ou « Alumni » comme on les appelle chez SEG Racing, ont également dû traverser cette période de confinement difficile. « La plupart des anciens de l’académie sont désormais clients de l’agence de coureurs SEG Cycling. Il y a donc un échange fréquent entre anciens et nouveaux de l’académie. Un partage d’expériences et de savoirs qui est bénéfique pour devenir pro. Certains se sont d’ailleurs pris au jeu du eRacing avec nous ».
En dehors des Pays-Bas, la situation n’est évidemment pas tout à fait la même, à l’image la France ou de l’Italie, où il était tout simplement impossible de s’entrainer en extérieur. Marco Frigo, l’italien de l’académie s’est retrouvé enfermé chez lui durant 2 mois, ce qui l’a incité à se prendre au jeu du eRacing et même d’y performer sur les pentes virtuelles du Mont Ventoux. Une manière de s’évader d’un quotidien pesant et de poursuivre son ascension vers le plus haut niveau malgré tout.
Au cours de cette période, les courses virtuelles ont pris une place prépondérante dans l’organisation de beaucoup d’équipes. « Les eRacing donnent aux coureurs une intensité de course. Pour un coureur qui est encore à l’école ou en cas de très mauvais temps, cela permet d’avoir un entrainement efficace. Mais pour nous, la course sur route est le but n°1. Nous voyons cela comme un bon complément à la route, au même titre que le VTT, la piste ou le cyclo-cross. D’ailleurs, à l’approche de la reprise de la saison sur route, nous faisons des courses virtuelles plus courtes, et nous avons augmenté la vitesse des entraînements sur route en combinant avec des efforts d’intervalles et de longues sorties. »
Le virtuel permet aussi de nouvelles évolutions et de voir les performances sous de nouveaux angles. C’est la direction prise par Arkéa-Samsic notamment en proposant un projet de détection via la plateforme Trainingpeaks. Du côté de SEG Racing, l’équipe performance travaille déjà avec Trainingpeaks. « Nous suivons ces évolutions, avec nos partenaires Cyclinglabs et Sport Max, nous améliorons constamment nos expérimentations et notre plateforme d’entraînements par laquelle nous suivons nos coureurs. »

Mais c’est bien sur le terrain que l’on détecte les talents de demain. Ceux que l’on sent capables de grands exploits, face à l’adversité, face aux éléments. Le virtuel ne remplacera jamais les légendes d’un Liège-Bastogne-Liège enneigé ou d’un Paris-Roubaix pluvieux, les histoires d’un coup de vent mal venu au détour d’un rond-point ou d’une coulée de boue dans la descente d’un col. C’est ainsi que tous les espoirs des jeunes coureurs se trouvent concentrés en un calendrier raccourci, voire étriqué de 3 mois afin de démontrer toute l’étendue de leur potentiel. « Tous nos coureurs ont l’ambition de devenir pro. Et dans l’académie, nous sommes focalisés là–dessus, sur le fait de continuer à développer nos coureurs, même si il y a moins de courses. Les coureurs savent qu’en plus de la course, il y a beaucoup de points sur lesquels travailler. En temps normal, le calendrier de courses ne laisse pas vraiment le temps de travailler ses faiblesses. Le confinement a permis de travailler sur ces faiblesses justement. Le calendrier va se jouer sur 2-3 mois sans aucun repos, nous avons donc posé les fondations pour que les coureurs restent tous à un haut niveau pendant cette période. »
Il existe bien sûr une réelle inquiétude que la situation ne laisse sur le carreau de bons espoirs. Les équipes souhaiteront-elles prendre des risques en faisant signer certains jeunes ou se concentreront-elles sur des valeurs sûres ? La vision économique de la situation peut faire peur et la santé budgétaire de certaines formations majeures pourrait ne pas inciter à la prise de risque. Certaines voix, en France et en Italie notamment, se sont déjà élevées afin de demander à l’UCI de prolonger les espoirs dernière année d’un an. « Chez SEG Racing, nous supportons cette idée de garder les espoirs une année supplémentaire à cause des circonstances, car ils n’auront pas beaucoup de courses pour s’exprimer. Nous pensons également qu’il serait bon que les juniors 2 de cette année puissent avoir quelques événements supplémentaires de la Coupe des Nations l’année prochaine avec les coureurs actuels de première année U23 afin qu’ils aient la chance de se montrer. »
La réalité économique pourrait tout de même mettre en difficulté bon nombre de coureurs et d’équipes en fin d’année. « Il y a 3 manières de voir les choses : 1-Effectivement il y aura moins de places chez les pros pour les espoirs, tout simplement parce qu’il y aura moins d’équipes. 2-Dans le même temps, des équipes intelligentes pourraient utiliser la situation pour faire signer assez vite de jeunes talents qui devraient avoir normalement de bons résultats et prendre ainsi une place dans le top 5 des équipes du World Tour. 3-Enfin, un néo-pro coûte moins cher qu’un coureur expérimenté. Les équipes qui subissent des coupes budgétaires pourraient alors se concentrer sur des espoirs. Nous espérons tout de même que certains coureurs seront pris comme stagiaires au sein des grandes formations mais il y a beaucoup de risques que des courses soient encore annulées et nous n’avons pas beaucoup de visibilité en ce moment pour savoir quelle équipe prendra des stagiaires.
Les courses reprennent peu à peu en Europe mais pas encore dans le reste du monde. Le 1er Août signera le lancement de cette 2ème saison 2020 avec les Strade Bianche en Italie. Un symbole pour ce pays si durement touché et si passionné de vélo. Certains coureurs n’ont pas eu encore l’occasion de courir et rongent leurs freins depuis la fin de la saison dernière. D’autres ont déjà gagné et se sont retrouvés coupés dans leur élan. Tous auront en tout cas l’envie de briller à des niveaux plus relevés et condensés qu’à l’accoutumée dans toutes les catégories.
Chez SEG Racing, on reste optimiste. « 2020 ne sera pas une année blanche. Les espoirs qui ont réussi à développer leurs qualités en utilisant la situation de manière intelligente feront une bonne année et seront de bons professionnels.»